Que fait la police ?

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Documentation des pratiques policières, et violences d'État.

Analyses et observations des logiques répressives et sécuritaires.

Libertés publiques et droits fondamentaux.

« Si tu leurs réponds, il y a outrage. Si tu résistes, il y a rébellion. Si tu prends la foule à témoin, il y a incitation à l’émeute. » Maurice Rajsfus, 2008

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Le 7 novembre, deux hélicos et de nombreux camions débarquent sur le terrain de la famille Gurême dans l’Essonne. Les agents auraient menotté et menacé avec des armes plusieurs personnes, dont des mineurs, avec des dégradations et propos racistes.

« Je ne dors plus, j’ai toujours peur qu’ils reviennent. Dès qu’il y a un bruit, je regarde par ma fenêtre pour vérifier qu’il n’y a rien… » Djayzi Gurême, 14 ans, a du mal à se remettre de l’intervention policière survenue sur le terrain que sa famille partage chemin de Saint-Michel à Saint-Germain-lès-Arpajon (91). Lieu de vie pour ces gens du voyage, il est aussi un lieu d’hommage à leur ancêtre, Raymond Gurême, figure de la lutte contre l’antitsiganisme, rescapé des camps pendant la guerre et résistant décédé en 2020. Sous la pluie battante du mois de novembre, Djayzi et une partie de sa famille relatent encore avec amertume la matinée d’horreur qu’ils ont vécue deux semaines auparavant. « On a cru que c’était la guerre… », résument-ils en décrivant chacun leur tour les images qui leur reviennent.

Le jeudi 7 novembre 2024, vers 10 heures, deux hélicoptères et des dizaines de camions encerclent le chemin Saint-Michel où habite la famille Gurême. Environ une centaine de forces de l’ordre armées qui appartiennent à différentes unités déboulent. Il y a les gendarmes du GIGN, les policiers d’élite du Raid ou les agents de la Bac. « J’ai appelé tout le monde pour dire venez, on va mourir ensemble », raconte Marie-Rose, 78 ans. La fille de Raymond Gurême n’a pas dormi durant plusieurs jours après cette intervention.

Plusieurs personnes, y compris des mineurs, sont menottées, braquées avec des armes et violemment interpellées. Au cours de l’intervention la famille apprend que les forces de l’ordre sont là pour interpeller un membre accusé de cambriolage chez des particuliers. Des portes et appareils électroménagers sont endommagés, une plaque d’hommage à Raymond Gurême est volontairement décrochée et un cadre photo de sa femme cassé. Tout ça sous un fond de menaces et d’insultes racistes.

##Une intervention violente

« Les hélicoptères étaient très bas, à la hauteur de l’arbre là-bas », pointe du doigt Djayzi depuis son canapé. La famille décrit les armes braquées depuis l’engin de guerre et la descente d’agents avec une corde. Certains mentionnent les ordres qu’ils auraient entendus durant les deux heures d’intervention : « Si ça traverse le bois, vous tirez », « Faites un maximum de casse »…

Laetitia part aux courses lorsqu’elle entend sa mère hurler. Elle sort de son mobile-home et aperçoit sur la route des camions blancs et des agents casqués. Lorsqu’elle tente de faire demi-tour pour retrouver ses deux fils à l’intérieur, un agent lui aurait violemment repoussé son visage qui tape sur la palissade. Le nez en sang, elle crie, inquiète, pour prévenir : « Ce sont des mineurs ! » Elle et plusieurs membres de la famille sont ensuite mis en ligne sans avoir le droit de bouger, ni même de récupérer un pull pour se réchauffer. Son oncle encore en colère lâche :

##« Ils nous ont mis le long de la maison comme si on allait être fusillé. »

Un des fils de Laetitia, Kayzer, est en train de dormir lorsqu’il est réveillé dans sa chambre par des agents du Raid. Il sort de sa caravane en short de pyjama, il dit avoir été mis au sol, un pied dans le dos, tout en étant braqué par des agents. Le jeune homme de 15 ans montre ses poignets, encore rouges, deux semaines plus tard :

« On m’a menotté avec un serflex, c’était tellement serré que mes mains étaient violettes. »

Sa mère tente de filmer la scène avec un portable, qu’un agent « éclate ». Lorsque Kayzer voit son petit frère dans la même situation que lui, il pleure par peur qui lui arrive quelque chose. « Ah tu pleures, chochotte ! », se serait moqué le policier d’élite qui l’a menotté.

Les membres de la famille rapportent également une baffe à un enfant de 12 ans, une balayette sur un homme de 75 ans, malade, qui a des problèmes respiratoires, une femme dont l’intervention d’un chien intimidant lui a laissé un bleu… Et de multiples dégradations : des portes d’entrée, une machine à laver, un écran de télévision, un sèche-linge, un rideau et un cadre photo de Pauline Gurême, femme de Raymond, qui a une importance particulière pour la famille.

##« Hitler n’a pas fini son travail »

Pour l’avocate de la famille, Anina Ciuciu, les règles déontologiques et d’interpellations ont été totalement bafouées : « C’était une interpellation extrêmement violente. C’est presque une opération de guerre qui est menée ici. »

Pour elle, la famille de Raymond Gurême est particulièrement visée parce qu’elle est identifiée comme appartenant à la communauté des gens du voyage. Durant cette interpellation, plusieurs membres de la famille affirment qu’un des agents de la Bac aurait dit :

« Hitler n’a pas fini son travail, vous auriez dû finir dans les fours. »

Les camions des forces de l’ordre seraient également partis en mettant une musique de cirque et une des Gipsy Kings, un groupe de musiciens d’origine gitane. « C’est pour se moquer de nous, de notre grand-père qui travaillait dans un cirque », explique Kayzer dégoûté qui fait encore régulièrement des cauchemars de cette matinée.

Mais la chose que personne n’oublie de mentionner, c’est le décrochage d’une plaque en hommage à Raymond Gurême par les forces de l’ordre. Une partie de la scène a été filmée où l’on peut voir plusieurs agents autour d’un autre qui tente de dévisser cette dernière. Un écho particulier à l’histoire du militant avec la police française, qui a subi un acharnement durant toute sa vie.

##Un « harcèlement policier »

Quand on demande à la famille si c’est la première fois qu’ils subissent ce genre d’intervention, chacun a plusieurs anecdotes à raconter. L’année dernière, des lacrymos ont entraîné un feu sur le terrain. Il y a aussi les nombreux klaxons ou gyrophares au milieu de la nuit, *les contrôles réguliers dès qu’ils sortent…- Le 23 septembre 2014, des policiers à la recherche d’un membre de la famille avaient même mis au sol et frappé Raymond Gurême âgé alors de 89 ans. Sa plainte avait été classée sans suite et les membres de sa famille ayant tenté de s’interposer ont eux été condamnés pour « outrage et rébellion ».

Pour Alison, la voisine, ancienne nomade aujourd’hui sédentarisée : « Il y a régulièrement des scènes comme ça, mais pas des aussi violentes [que celles du 7 novembre]. » Elle était en train de débroussailler dehors quand les hélicos sont arrivés. Par réflexe, elle demande à ses enfants de courir pensant que « c’était la guerre ». Sa fille reste pétrifiée. « Ça a traumatisé mes enfants, ils ne veulent pas en parler. » De son côté, l’avocate de la famille Anina Ciuciu a saisi la Défenseure des droits :

« La famille est traumatisée, la police ne peut pas faire n’importe quoi juste parce que c’est les Gurême. »

En parallèle, la députée LFI Ersilia Soudais a écrit à la préfète de l’Essonne pour lui demander une rencontre avec les concernés : « La réponse était complètement disproportionnée. Et ce n’est pas juste un incident, ça rentre dans le cadre d’un harcèlement envers la famille Gurême. »

« Pour moi, ils voulaient nous tuer, c’était de l’acharnement », reprend Laetitia. La mère de famille voudrait juste que les perquisitions soient faites dans les règles. « Ça va trop loin, on ne peut pas laisser ça impuni… »

Contactés, le ministère de l’Intérieur nous a renvoyé vers la préfecture de l’Essonne. La préfecture et le Sicop ne nous ont pas donné de réponse à ce jour.

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Les policiers de la BAC sont accusés d’injures homophobes et « torture psychologique » sur des manifestants pro-palestiniens en marge du match France-Israël, jusqu’à ressortir une ancienne plainte pour harcèlement scolaire de l’un. Ils ont porté plainte.

Jeudi 14 novembre, 23h, Stade de France, Saint-Denis (93) – Coup de sifflet. Au milieu des 4.000 policiers déployés autour du stade, les manifestants en soutien à la Palestine présents pour protester contre le match France-Israël rebroussent chemin. Soudain, la brigade anti-criminalité (BAC) saute sur trois jeunes hommes qui rejoignent la station du RER B. Léo, 25 ans, est agrippé au cou et poussé violemment avec Maxime et Samir (1), 22 et 23 ans, contre les grilles de la gare par quatres agents en civil. « Mon premier réflexe, c’est de penser que c’est des fafs », croit Léo, auteur-scénariste. Les bleus sont tout de suite rejoints par une demi-douzaine de leurs collègues.  Ils fouillent leurs poches et jettent leurs affaires au sol, l’un arrache le bonnet de Léo. Un autre ouvre la veste de Maxime, dévoilant son pull flanqué « Action antifasciste », qu’il essaye de lui retirer. Immédiatement, les insultes commencent à pleuvoir :

« Tout ce que je vois en face de moi, c’est trois salopes. »

Le témoignage du trio est identique. Ils ne se connaissent pourtant pas et viennent de se rencontrer à l’occasion d’un contrôle par des gendarmes peu avant. Tous racontent dans le détail le déferlement d’injures, d’humiliations et de menaces proférées pendant près de 15 minutes par les policiers de la BAC. Maxime se souvient :

« Un policier s’approche à 5 centimètres de mon visage et me dit : “J’ai envie de te broyer.” »

Le plus vieux en particulier, le « chef » d’après Samir, multiplie les attaques homophobes, les insultant de « petites salopes », de « pédales », de « suceurs ». Lorsque Léo essaie de rassurer un quatrième homme contrôlé, visiblement angoissé et parlant mal le français, en lui touchant le bras, les attaques repartent de plus belle : « Pourquoi tu le touches ? Tu veux le sucer ? » À côté, un policier se serait pavané avec un maillot aux couleurs de la Palestine pris à un manifestant. L’agent âgé leur reproche d’être venu « foutre la merde », de se dire « antifascistes » alors qu’ils ne « connaissent pas l’Histoire ». Entre des insultes de « grosses merdes », de « parasites » ou encore d’« anti-France », il ajoute : « Ma devise, c’est “Travail, Famille, Patrie”. ». Autour du contrôle, la sûreté RATP forme un cordon. Ce qui n’empêche pas le policier pas de menacer les jeunes :

« Vous avez de la chance qu’ils soient là, sinon vous seriez en train de saigner. (…) Si on n’avait pas l’uniforme, vous seriez déjà morts. »

###Utilisation du fichier des antécédents judiciaires

Sur leur tablette, les policiers de la BAC ressortent alors tout le TAJ – le fichier appelé traitement des antécédents judiciaires – de Léo. Ils lui rappellent son harcèlement au collège, pour lequel Léo avait déposé plainte à plusieurs reprises il y a plus de dix ans. Les agents l’insultent à répétition de « grosse victime ». Un autre renchérit :

« Moi aussi, au collège, je t’aurais baisé espèce de salope.»

Ils ressortent également une plainte pour violences policières, déposée cet été, dans laquelle Léo accuse des membres des forces de l’ordre de l’avoir violenté lors d’un rassemblement sur la place de la République, à Paris, le soir du second tour des législatives. Là encore, l’agent en face de lui se moque : « T’aimes pas la police, mais quand t’as besoin d’eux ça va chialer au commissariat. » « Ils rigolaient, se moquaient tous. C’était leur petit jeu », décrit Samir. Comme Maxime, il rapporte avoir vu un agent juste derrière Léo, la main sur la poignée son arme, mimer une balayette sur ce dernier. « Il était en mode “Je le fais ou je le fais pas ?” C’était un jeu entre eux », répète-t-il.

Léo est « hors de lui ». « Je ne me laisse pas faire, mais j’avais des barres de douleur dans le ventre, je tremblais, au bord des larmes, je déréalisais. J’étais dans le même état que quand j’étais frappé au collège, et que les profs ne faisaient rien. Je me disais qu’on n’allait peut-être pas rentrer », confie-t-il, chevrotant, au téléphone. Il dénonce « une scéance de torture psychologique » qui l’a fait se sentir « impuissant et dépassé » :

« J’avais déjà été malmené en manifestation. Mais là, tu es attaqué dans ton être profond. Tu te sens salis. Tu te sens souillé. »

Après les faits, il dit avoir enchaîné deux nuits blanches.

###Leurs visages pris en photo

Chacun confie avoir cherché du regard de l’aide auprès des autres unités postées à proximité. Samir croise celui d’un gendarme qui l’a contrôlé quelques dizaines de minutes auparavant. Maxime, lui, reste marqué par une agente de la sûreté RATP qui le « regarde dans les yeux, et qui se tourne ». « Personne n’a moufté », s’insurge Léo. Au contraire, à la fin du contrôle, quand Léo reproche aux gendarmes de ne pas être intervenus, ces derniers le sortent violemment de la gare. Ce sont des « mecs de quartier » qui s’occuperont de lui « à bout de nerf ». Ils auraient été les seuls, d’ailleurs, à intervenir pendant le contrôle, croyant à une agression avant de reconnaître les agents de la BAC.

Deux des jeunes auraient également été victimes d’agression sexuelle lors de la fouille. Ils se rappellent, à froid, des mains des policiers s’affairer longuement sur leur entrejambe jusqu’à, pour l’un, « saisir son sexe » à travers les vêtements.

Accompagnés par un avocat du collectif Legal team antiraciste, les manifestants ont porté plainte le vendredi 22 novembre mais craignent des représailles. « Cet été, c’était déjà à contre-coeur. Et maintenant, tous les moments où tu as été naïf dans ta vie, les flics l’utilisent contre toi pour t’humilier », indique Léo. Surtout, prétextant un dysfonctionnement de leurs appareils dédiés au contrôle, les policiers auraient photographié leur visage avec leurs téléphones personnels. Maxime et Samir auraient alors aperçu des photos et leurs informations d’identité être envoyées sur WhatsApp et SnapChat. Léo s’inquiète :

« Potentiellement, on a nos infos et nos photos qui tournent dans des groupes de militants, de flics, de néofascistes. »


Contacté par StreetPress, le parquet de Seine-Saint-Denis a indiqué ne pas avoir eu connaissance des faits. Le service communication de la Police nationale n’a pas répondu à ce jour.

(1) Le prénom a été changé.

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