Jordan Bardella a truandé le Parlement européen pour se faire payer des « média trainings » entre 2019 et 2021. But de l'opération : transformer la « coquille vide » en « facho sympa » avant son accession à la présidence du RN.
Bardella, une « coquille vide » formée avec des sous de Bruxelles
Longtemps Pascal Humeau a été le coach média de Jordan Bardella. Et longtemps il a qualifié son client de « coquille vide » – on l’entend prononcer ces mots, à propos du « plan B » de Marine Le Pen, dans un numéro de « Complément d’enquête » diffusé l’année dernière (France 2, 18/1/24). Humeau s’y épanche aussi sur sa relation passée avec Bardella et sur la mission que lui a confiée, pendant quatre ans, la fifille de Jean-Marie Le Pen : transformer le jeune rigide en « facho sympa ». Riant programme !
Filmé face caméra, il ne précise pas, à l’époque, que la « coquille vide » a aussi été sa vache à lait. Entre 2019 et 2021, l’ancien présentateur télé a touché 133 300 euros du Parlement européen pour proposer des média trainings à Bardella. Selon des documents tombés dans le bec du « Canard », c’est après un appel d’offres bidon qu’il signe un contrat avec le groupe Identité et démocratie (ID), auquel appartient le RN. L’entité souhaite « améliorer sa communication autour de l’actualité européenne ». Le contrat prévoit un confortable salaire, selon un barème écrit. Semaine A : « Quatre jours de présence au Parlement européen, 3 400 euros » ; semaine B : « Présence complétée par du télétravail, 3 100 euros » ; etc.
Tartalacom et Kon Tiki
L’appel d’offres pour cette alléchante convention est lancé par le groupe en avril 2020, pour une durée de quinze jours. Malheureusement, c’est Tartalacom qui postule la première. ID prolonge donc le délai de candidature pour faire gagner Kon Tiki, la société de Humeau, laquelle ne remplit pourtant pas les conditions que le groupe s’est imposées à lui-même, comme le fait d’avoir au moins trois ans d’ancienneté − Kon Tiki a été créée un an plus tôt seulement, le 15 mars 2019. « On ne m’avait pas caché que ça passerait, raconte Humeau au Palmipède. L’appel d’offres n’existait que pour la forme. C’est Jordan qui m’a proposé de bosser avec les élus RN au Parlement. »
Le bidonnage ne s’arrête pas là. En septembre 2021, Bardella, tout juste nommé président par intérim du RN, embauche illico son pote Humeau pour bosser avec lui sur la présidentielle. Tout en étant payé par l’Europe, il prépare les dizaines d’interviouves qui s’annoncent pour le nouveau patron du parti d’extrême droite. Le 12 septembre 2021, lors de son premier discours de président du parti, à Fréjus, Bardella passe deux heures en visioconférence avec Humeau, pour se chauffer, mais il ne parle jamais de Bruxelles.
L’Humeau pour le dire
Entre septembre et novembre 2021, le numéro deux du RN enchaîne les plateaux de télé et les séances d’entraînement. Il rencontre son coach à 26 reprises et signe à la main autant d’attestations pour valider ses factures. Le « futur Premier ministre » accorde plus de 20 interviews radio et TV. Quelle santé ! L’Union européenne n’y est évoquée que 6 minutes en septembre, 7 minutes en octobre, il y a du progrès… On reste loin, cela dit, de la fameuse « communication autour de l’actualité européenne » prévue par le contrat de Humeau.
Au lieu de parler de l’Union, Bardella ne cause que du programme présidentiel de sa patronne, de la concurrence d’Eric Zemmour, étrille le bilan de Macron… La période va rapporter bonbon à Humeau : il facture pour 25 900 euros de formations et conseils, dispensés la plupart du temps au domicile de Bardella, à Garches.
« Le Canard » a posé la palme sur un enregistrement dans lequel Humeau détaille le montage imposé selon lui par le RN. « J’ai été payé à partir de septembre 2021, dit-il, par factures hebdomadaires, par le Parlement européen, pour faire la campagne présidentielle » de 2022. Ce qui justifie l’arrangement : la présidentielle est certes lancée, mais le parti d’extrême droite n’a pas un rond pour la financer. Il n’a, en effet, pas encore obtenu son prêt hongrois, signé en janvier 2022.
Aujourd’hui, Humeau rétropédale : « Evidemment que, quand on prépare une interview, on prépare toutes les questions susceptibles d’être posées, dont les questions européennes. » Et de s’interroger : « Comment tu fixes la frontière, quand tu fais du training, entre la personne que tu entraînes : est-ce le député européen ou l’homme politique ? C’est un peu comme l’affaire des assistants… » Celle qui a fait condamner Marine Le Pen à l’inéligibilité ?
L’Europe remplit toujours les poches du RN Une note de 29 pages de la commission budgétaire du Parlement européen, diffusée en juillet (« Le Monde », 3/7), fournit quelques détails sur les libertés prises par les élus du RN avec le règlement du Parlement entre 2019 et 2024. Ceux-ci ont distribué près de 700 000 euros d’argent public prélevés sur leur budget communication, dit budget « 400 », à diverses associations amies.
Y figurent, par exemple, Ami Chats 88, qui stérilise des chats errants dans les Vosges. Ou Lévriers 74, qui a reçu 4 000 euros entre 2020 et 2023 pour soutenir la protection des lévriers espagnols. Le rapport avec le mandat européen ? On cherche encore. Et la liste est longue… La majeure partie des fonds, toutefois, concerne des appels d’offres truqués permettant de distribuer l’argent des contribuables de l’UE à deux prestataires proches du RN : l’agence de communication e-Politic, longtemps dirigée par l’ancien gudard et grand copain de Marine Le Pen Frédéric Chatillon, et Unanime, alors gérée par… sa femme.
Entre 2019 et 2024, la première agence a palpé 1,7 million d’euros grâce au RN, et la seconde 1,4 million − chaque fois pour des travaux d’impression surfacturés. Depuis, le Parquet européen a ouvert une enquête… sans savoir que Bardella avait, lui aussi, fait bénéficier l’un de ses potes de ces mêmes budgets pour des séances de média-training pour la campagne présidentielle de 2022.
T. B.